Homélie du 25 octobre (30è TO) de père Pierre : L’amour ou la haine sur commande ?

2020-10-25T19:21:54+01:0025 octobre 2020|

Je ne sais pas vous, mais moi j’ai toujours été un peu surpris, interpellé, par ce premier commandement de l’amour, et même par le second qui lui est semblable : Dieu, par la bouche de Jésus, nous commande… d’aimer ! Je vous donne un commandement nouveau confirmera Jésus, « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Or l’amour est libre non ? Gratuit, spontané, donné, et ressenti, n’est-ce pas ? Comment pourrait-il être commandé, même par Dieu ? Comment l’amour reste-t-il l’amour lorsqu’il est commandé comme un devoir ? L’actualité nous a montré avec l’assassinat de ce professeur, Samuel Paty, que la haine, elle aussi, peut être commandée…et exécutée…

Le vrai Dieu, lui, nous commande d’aimer, même nos ennemis…Puisque c’est Dieu qui nous parle, cela nous dit sans doute quelque chose de ce qu’est l’amour, lui qui est Amour et à l’origine de tout amour vrai.

Deux choses sont à considérer pour apaiser notre « inquiétude » sur ce commandement  :

Du point de vue anthropologique, si les sentiments ne se commandent pas, l’amour lui est surtout question de volonté, qui se met, ou pas, au diapason des sentiments. Prenons des exemples : je peux avoir comme saint François d’Assise un mouvement de dégoût pour le lépreux, mais dépasser ce sentiment négatif pour prendre soin de lui. Je peux éprouver un sentiment amoureux pour quelqu’un qui est déjà engagé dans le mariage, et ne pas essayer de satisfaire ce sentiment. Au-delà du sentiment, qui par définition ne se commande pas, l’amour est le choix de vouloir du bien à l’autre, de rechercher ce qui lui fait plaisir ou ce dont il a besoin – Dieu et son prochain – l’amour jaillit du cœur, autrement dit de la volonté. Pour bien le saisir, disons que de même que les yeux voient, les oreilles entendent, la main touche, le nez sent, la langue goûte, ainsi l’intelligence comprend et la volonté aime. L’amour est l’acte de la volonté, tant il est vrai que l’on ne veut que ce que l’on aime. Et nous saisissons déjà un peu mieux le sens de la parole de Jésus, de son commandement d’aimer : il s’adresse à notre volonté, et pas à nos sentiments. Et d’ailleurs cela n’enlève rien à la liberté de l’amour, puisque précisément la volonté se détermine à son acte, librement !

Lisons un paragraphe éclairant tiré de Tutti Fratelli au n°93 : «  Afin de clarifier en quoi consiste l’expérience de l’amour que Dieu rend possible par sa grâce, saint Thomas d’Aquin la définissait comme un mouvement qui amène à concentrer l’attention sur l’autre « en l’identifiant avec soi-même ». L’attention affective, qui est portée à l’autre, conduit à rechercher son bien gratuitement. Tout cela fait partie d’une appréciation, d’une valorisation, qui est finalement ce qu’exprime le mot ‘‘charité’’ : l’être aimé m’est ‘‘cher’’, c’est-à-dire qu’« il est estimé d’un grand prix ». Et « c’est de l’amour qu’on a pour une personne que dépend le don qu’on lui fait ». »

Du point de vue de la théologie biblique maintenant, qu’est-ce qu’un commandement ? Nous connaissons les 10 commandements, qu’on appelle aussi le Décalogue. Le Décalogue, c’est dans le texte hébreu dix paroles, et non pas 10 commandements ! le Décalogue se comprend d’abord dans le contexte de l’Exode qui est le grand événement libérateur de Dieu au centre de l’Ancienne Alliance. Qu’elles soient formulées comme préceptes négatifs, ou comme commandements positifs, ces « dix paroles » indiquent les conditions d’une vie en alliance avec Dieu. La première table de la loi concerne surtout l’amour de Dieu, tandis que les préceptes négatifs de la seconde table concernent le respect de l’autre, qui se résume dans le « tu aimeras ton prochain comme toi-même » qui est tiré du livre du Lévitique. Lisons deux paragraphes tirés de Tutti Fratelli qui montrent que le résumé de Jésus était déjà annoncé par certains rabbins ; ainsi on lit au n°59 : « Dans les traditions juives, le commandement d’aimer et de prendre soin de l’autre semblait se limiter aux relations entre les membres d’une même nation. Le précepte ancien « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18) était généralement censé se rapporter à des concitoyens. Cependant, surtout dans le judaïsme qui s’est développé hors de la terre d’Israël, les frontières se sont élargies. L’invitation à ne pas faire aux autres ce que tu ne veux pas qu’ils te fassent est apparue (cf. Tb 4, 15). Le sage Hillel (Ier siècle av. J.-C.) disait à ce sujet : « Voilà la loi et les prophètes ! Tout le reste n’est que commentaire ».  Le désir d’imiter les attitudes divines a conduit à surmonter cette tendance à se limiter aux plus proches : « La pitié de l’homme est pour son prochain, mais la pitié du Seigneur est pour toute chair » (Si 18, 13).

Au paragraphe 60. « Dans le Nouveau Testament, le précepte d’Hillel est exprimé positivement : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : voilà la Loi et les Prophètes » (Mt 7, 12). Cet appel est universel ; il vise à inclure tous les hommes uniquement en raison de la condition humaine de chacun, car le Très-Haut, le Père qui est aux cieux, « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons » (Mt 5, 45). En conséquence, il est demandé : « Montrez-vous compatissants, comme votre Père est compatissant » (Lc 6, 36)« .

Comme le dit le Catéchisme de l’Eglise Catholique, au numéro 2083,  « Jésus a résumé les devoirs de l’homme envers Dieu par cette parole :  » Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit  » (Mt 22, 37 ; cf. Lc 10, 27 :  » … toutes tes forces « ). Celle-ci fait immédiatement écho à l’appel solennel :  » Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique  » (Dt 6, 4-5). Dieu a aimé le premier. L’amour du Dieu Unique est rappelé dans la première des  » dix paroles « . Les commandements explicitent ensuite la réponse d’amour que l’homme est appelé à donner à son Dieu. »

On peut donc mieux comprendre que Dieu nous commande d’aimer, en nous donnant ainsi la direction du chemin du Ciel, comme celui qui fait appel en voiture à son GPS : il nous commande d’aller à gauche, de faire demi-tour, de prendre au prochain carrefour la troisième sortie, et nous poursuivons ce chemin en obéissant, librement, à ses commandements pour entendre enfin le message « vous êtes arrivés »…

Bref, après ces considérations anthropologiques et théologiques, accueillons avec joie le commandement du Seigneur : aimons !…comme Lui…et résistons à la haine qui peut monter en nos cœurs.

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