Mes chers frères et sœurs
L’expression « allumer le feu » … peut sembler déplacé en cette période d’été ! Le feu, comme nous le savons, non seulement réchauffe et donne la vie, mais il brule aussi, il consume et détruit en laissant peu de chance aux forêts, aux maisons, aux vies humaines et animales que nos vaillants pompiers essayent de sauver, en particulier en ces jours de grande chaleur marqués malheureusement aussi par quelques incendies de grande ampleur. La puissance destructrice du feu me fait penser à ces 12 jeunes de Rouen qui ont péri dans un restaurant à cause d’un incendie parti d’un d’une petite bougie de gâteau d’anniversaire, incendie survenu seulement quelques jours après l’assassinat horrible du père Jacques Hamel célébrant l’eucharistie, dans la même région. Le feu, tout en étant un élément essentiel de la vie, a aussi une grande capacité de donner la mort et de détruire. Nous en avons besoin pour faire nos barbecues actuellement en été, mais nous faisons bien attention aux dégâts qu’il peut causer, même avec un mégot de cigarette jeté sans être complètement éteint.
L’Evangile de ce dimanche nous parle de ce feu destructeur. Ce qui est curieux, c’est que ce soit saint Luc qui en parle. Il est l’évangéliste de la mansuétude de Dieu, de la tendresse, de la douceur, de la bonté et de la miséricorde. Et pourtant il nous parle plusieurs fois dans son évangile du feu destructeur comme élément lié aux choses de Dieu. Quand Jean-Baptiste entre en scène, au début de son évangile, Luc nous le présente comme un précurseur annonçant la venue du Messie qui vient baptiser dans le feu. Il disait aux foules : « Moi, je vous baptise avec de l’eau ; mais il vient, celui qui est plus fort que moi. Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. Il tient à la main la pelle à vanner pour nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera le grain dans son grenier ; quant à la paille, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas. » (Luc 3, 16-17).
Plus tard, sur leur chemin vers Jérusalem, Jésus et ses disciples traversent la Samarie et entrent dans un village où les habitants ne voulaient pas les accueillir. Ses disciples alors, Jean et Jacques, fils des Zébédée, inspirés probablement par Jean-Baptiste, leur ancien maitre, prient le ciel de faire descendre un feu afin qu’il détruise ce village des samaritains peu hospitaliers. « Il envoya, en avant de lui, des messagers ; ceux-ci se mirent en route et entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue. Mais on refusa de le recevoir, parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem. Voyant cela, les disciples Jacques et Jean dirent : « Seigneur, veux-tu que nous ordonnions qu’un feu tombe du ciel et les détruise ? » Mais Jésus, se retournant, les réprimanda. (Lc 9, 52-55).
Aujourd’hui, « ces paroles de feu qui brûle » sont mises cette fois par l’évangélise Luc dans la bouche même de Jésus. Elles contrastent tellement avec l’image pacifiste, irénique, tendre et miséricordieuse que nous transmet d’habitude saint Luc. Ces paroles assument un ton violent et déconcertant quand nous entendons Jésus dire : « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ….Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division. »
Notre première réaction, naturelle et instinctive serait, surtout en nos jours : « Non Seigneur, toi aussi ! Déjà que les médias nous font passer chaque jour d’Alep à la Libye, de la Thaïlande à la Belgique, de notre France à l’Irak, et cette nuit encore à la Suisse avec ce terroriste qui a brulé le wagon d’un train en essayant ensuite d’agresser au couteau les passagers….ces médias qui nous font nager dans les ondes de la terreur et de la violence, en nous annonçant chaque jour la macabre litanie de l’énième massacre, de la énième explosion suite à une attentat terroriste….en espérant que cela nous touche le moins possible….Nous disons, « Non, Seigneur, nous en avons marre ! De grâce, Seigneur, parle-nous de paix dans ton évangile. Nous en avons assez du feu, de la violence et des divisions ! »
Il s’agit bien entendu d’une réaction normale et instinctive. J’ai eu un peu de mal à comprendre et interpréter de manière théologiquement correcte les paroles de l’évangile d’aujourd’hui qui, avec tout ce que nous vivons de nos jours, peuvent nous choquer . Et cerise sur le gâteau, Jésus parle de lui-même comme signe de contradiction portant la division et la discorde à l’intérieur de nos relations familiales. Celles-ci sont déjà difficiles et compliquées comme nous en faisons l’expérience en ces temps des vacances où nous rencontrons, par la force des choses, des frères ou sœurs, des oncles, tantes, cousins, belles-filles ou beaux-fils avec lesquels le courant ne passent pas toujours bien ! Alors, Seigneur, n’en rajoute pas s’il te plaît en nous parlant des divisions et guerres dans les familles! C’est déjà assez compliqué comme ça !
Mais en lisant attentivement cet évangile, je me suis rendu compte qu’il ne parle pas des conflits au sein d’une famille ou au sein de la communauté chrétienne. Dans le chapitre précédent, il nous avait déjà prévenu qu’un royaume divisé va à sa propre destruction. Les paroles de Jésus dans cet évangile décrivent les normaux conflits entre générations à l’intérieur d’une famille. Notez bien qu’il s’agit des binômes générationnels : «le père contre le fils, le fils contre le père, la mère contre la fille, la fille contre la mère, la belle-mère contre la belle-fille et la belle-fille contre la belle-mère. » Ces conflits ou tensions sont fréquents dans les plus normales des familles quand s’affrontent des points de vue différents liés à la différence d’âge. Jésus ne parle pas de conflits entre frère et frère, ou sœur et sœur, ou mari et femme ! Avouez que même au sein de la communauté chrétienne, nous vivons souvent ces conflits entre les générations, entre les enfants qui font du bruit, pleurent, courent rigolent pendant la messe et les anciens qui regardent de travers et râlent contre les jeunes parents qui ont leur enfants, entre les adolescents, lycéens, étudiants, JMJstes qui veulent animer autrement la messe, des messes plus pêchues, plus dynamiques comme ils disent et les autres adultes et grands-parents qui veulent utiliser toujours leurs livres rouges et les chants de leur enfance, la belle époque…
Dans cet évangile, les confits dont parlent Jésus sont en réalité ceux entre « l’avant » et « l’après », entre le passé et le futur, entre le vieux et le nouveau à l’intérieur de la communauté chrétienne, cette communauté naissante, le peuple de Dieu, né du peuple d’Israël qui a grandi dans les règles de la Loi de Moïse et qui est appelée aujourd’hui à assumer de nouvelles règles de l’Evangile, des règles qui ne se basent plus sur une application formelle de la Loi comme les pharisiens, mais sur la vie nouvelle dans le Christ qui a comme nouvelle règle le seul commandement nouveau : celui de l’Amour de Dieu et du prochain. C’est une nouveauté radicale !
Le passage d’une Loi à une autre, de l’Ancien Testament au Nouveau, de l’ancien ou nouveau rapport à Dieu n’est pas quelque chose de simple, de serein et de pacifique. C’est un processus compliqué, fastidieux, pénible qui crée tension et agitation chez les interlocuteurs du Christ. La preuve en est que c’est cette nouveauté qui a poussé les chefs de l’Ancienne Alliance à condamner Jésus. Cette condamnation est le baptême dont Jésus parle dans cet évangile : « Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli ! »
Mes chers frères et sœurs ! Jésus est lui-même ce feu dont il parle dans l’Evangile d’aujourd’hui. Jésus est lui-même cette nouveauté brûlante qui, quand elle entre dans une communauté des croyants, crée des conflits, révolutions, dérangements parce qu’Il est venu faire nouvelles toutes les choses. Sa nouveauté comporte de manière inévitable la mort, la destruction, la rupture avec beaucoup de schémas liés au passé.
Il est réconfortant de voir que l’image de la destruction est liée au feu, car n’oublions jamais que ce même feu est aussi source d’énergie et donne la force. Pensez aux langues de feu qui descendent sur les apôtres le jour de la Pentecôte. Si le Seigneur Jésus, par son Esprit Saint détruit le vieil homme en chacun de nous, il donne aussi la force et l’énergie nécessaire pour vaincre les peurs, les résistances pour faire grandir l’homme nouveau en chacun de nous par le baptême. Chaque communauté chrétienne est appelée à vivre ce conflit entre l’ancien et le nouveau, entre les vieux schémas du passé et les nouvelles perspectives du futur comme ne cesse de le répéter le pape François, entre la logique du « on a toujours fait comme ça depuis des années » à la logique du « essayons de changer un peu les choses pour voir », en vivant dans l’espérance que le feu de Dieu, c’est-à-dire, son Esprit d’amour, nous accompagne en nous purifiant chaque jour comme le feu qui purifie et affine l’or. Prions pour que chacun de nous se laisse vraiment embraser par ce feu d’amour de Dieu pour en être le témoin dans ce monde qui en a tant besoin. Amen.