Le Fils Prodigue : petit éclairage
L’évangile qui nous accompagne ce dimanche relate l’un des passages les plus beaux des évangiles, nous décrivant ce que Jésus est venu révéler et que l’année Jubilaire de la Miséricorde ne cesse de souligner depuis le 8 décembre dernier : c’est une page-vérité qui nous révèle le vrai visage du Dieu, un Père attentif à chacun de ses enfants, un Père qui compatit, qui console, plein de tendresse et d’Amour.
Bien que cet évangile nous parle de deux paraboles, je voudrais développer celle de ce père prodigue dans son amour avec ses deux enfants déjà majeurs, et une entreprise agricole familiale qu’il faut faire tourner. L’aîné ne pose aucun problème. Bien au contraire ! Il est sérieux, bosseur, le père peut compter et s’appuyer sur lui. Il respecte son père en tout, même quand ça lui pèse de le faire. Il a le sens du devoir, il ne râle jamais et ne fait aucune contestation ni réclamation. D’ailleurs, il n’a même pas de salaire. Son sérieux a un impact sur les ouvriers qui reconnaissent en lui le digne héritier. Le cadet, lui, souffre un peu de la monotonie familiale quotidienne et de ce travail qui ne le passionne plus. Il étouffe dans cette famille. Il décide donc de prendre le large, veut voir du monde, profiter de la vie, comme nous parfois, quand nous nous sentons à l’étroit dans nos familles. Pensez à votre enfant ou petit-enfant qui n’attendait que le lendemain de ses 18 ans pour quitter le domicile familial pour se sentir vraiment libre et libéré des parents !
C’est ainsi que le fils cadet demande et obtient sa part d’héritage, s’éloigne et coupe avec son père, son frère, les ouvriers….pour profiter de la vie, sans se soucier de l’avenir, dans une vie de plaisir. Il aurait pu investir, placer son argent, le faire fructifier. Non, il dilapide tout dans une vie de vice ! « Mangeons et buvons car demain nous mourrons », disent les hédonistes, les épicuriens ! Evidemment, quand il n’y a que des sorties d’argent, sans entrées ni recettes, le compte bancaire est rapidement en déficit, on est dans le rouge et forcément la misère pointe. Une famille, une communauté paroissiale, une commune…. ne peuvent dépenser aveuglément sans faire attention aux recettes…. C’est l’un des problèmes de nos sociétés actuelles qui ont tellement dépensé dans le passé ! Avec la campagne présidentielle, on n’arrête pas de nous le répéter ! Et tous les candidats se jettent mutuellement la responsabilité du déficit de la Sécu, de l’ampleur de la dette publique….de ce qui a été dilapidé dans le passé d’où l’austérité, les coupes budgétaires, la hausse des impôts pour sortir de la crise…
Le fils cadet épicurien-hédoniste est donc tombé dans la misère. Il est obligé de prendre ce qui était considéré comme le travail le plus indigne et méprisant pour un juif : garder les porcs ! Pire, le travail est tellement injuste qu’il ne suffit même pas à lui procurer de quoi manger, car il voudrait se nourrir des gousses des porcs. Mais il ne peut pas, sinon il se fait licencier, virer ! Sa situation fait penser aux employés des grandes surfaces mais qui ne peuvent même pas récupérer toute la nourriture qui est jeté dans les poubelles, pour ne pas être licencié. La loi du commerce et du travail l’interdisait, mais cette mentalité est en train de changer ! Aujourd’hui encore, nous connaissons beaucoup de personnes qui travaillent, sont exploitées, ne comptent plus les heures de travail, mais qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts du mois.
Cette situation négative de misère permet au jeune homme une prise de conscience de la chance qu’il avait dans la maison familiale et il prend la décision d’y retourner. Quand on a touché le fond, la souffrance peut être une occasion pour rebondir et partir sur de nouvelles bases. C’est cela qui arrive au fils cadet : « Alors il réfléchit : ‘Tant d’ouvriers chez mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim ! Je vais retourner chez mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d’être appelé ton fils. Prends-moi comme l’un de tes ouvriers ». Il n’a plus rien à perdre car il a déjà tout perdu. Mal habillé, sans apparat, maigre et très affamé, il reprend la route du retour vers son père et avec le danger de tomber sur le chemin car ses forces physiques lui manquent à cause de la faim.
Le père a respecté la liberté de son fils, même celle de s’éloigner, lui reconnaissant même le droit de se tromper, de commettre des erreurs. Cependant, ce père n’a jamais arrêté d’espérer le retour du fils. Il l’attend chaque jour. Il l’attend tellement depuis son départ qu’il est le premier à l’apercevoir, de très loin : « Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de pitié ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers » Le fils, couvert de honte, commence à déclamer le petit texte, son baratin bien préparé pour courtiser et reconquérir le cœur de son père, mais ce dernier ne le laisse même pas finir. Il ne lui reproche rien. Le texte préparé par le fils cadet me fait penser aux personnes qui viennent se confesser en focalisant cette démarche sacramentelle d’abord et surtout sur toute une liste des péchés qu’il faut avouer dans un ordre bien précis, sans en oublier un seul, pour être sûr d’être pardonné par Dieu. On oublie ainsi parfois que l’Amour du Seigneur dépasse infiniment nos péchés.De toute façon, Dieu connaît notre cœur, nos plaies et nos blessures. Ce qui compte pour le père de la parabole, c’est de redonner honneur et dignité à son fils humilié et misérable qui revient à la maison : « Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller. Mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds » et il tue le veau gras réservé aux grandes fêtes.
La signification de cet évangile est claire : Jésus indique dans le père de la parabole le « Vrai Père », son Père et notre Père qui est aux cieux. C’est lui qui est Prodigue dans son Amour et dans sa Miséricorde et qui nous demande de l’imiter dans nos relations. Chacun de nous est ce fils cadet, plus ou moins, de près ou de loin, de temps en temps… Chacun est aussi, plus ou moins le fils aîné qui n’accepte pas le comportement du Père envers son frère cadet qu’il ne reconnaît plus comme frère et qu’il condamne, en l’enfermant dans sa faute et ses erreurs. « Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais désobéi à tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais, quand ton fils que voilà est arrivé après avoir dépensé ton bien avec des filles, tu as fait tuer pour lui le veau gras ».
Selon les critères de justice purement humaine, l’aîné n’a pas tort. C’est injuste d’accueillir ce frère cadet épicurien ! Nous nous plaignons aussi des injustices que nous subissons ! Mais la justice humaine n’est pas suffisante dans nos relations interpersonnelles et spirituelles. La justice humaine est parfois sans amour et manque souvent de « cœur », elle nous rend insensibles même aux liens de famille, nous empêche d’aimer et pire encore, elle nous empêche de nous rendre compte de l’amour dont nous sommes entourés.
S’il nous fallait choisir entre les deux fils, notre sympathie choisit de nous identifier au cadet qui a certes beaucoup fauté, mais qui est capable de repentir. L’aîné nous répugne car il refuse de se déplacer d’un centimètre de son égoïsme, de sa jalousie et de sa rancœur. Mais ils sont tous les deux pareils : tous calculateurs, sans gratitude et sans amour envers le Père. Il y a toujours en chacun de nous une part qui nous éloigne de Dieu et de nos frères et sœurs, et une autre part qui reste proche de Dieu et des autres, mais sans amour et sans vraie liberté.
Ce contraste nous fait remarquer la figure sublime du père qui va à la rencontre de ses deux enfants, les aime l’un et l’autre infiniment d’un amour particulier et impartial. Ce père est le protagoniste principal de la parabole. C’est en le contemplant que cet évangile change de titre. Ce n’est plus la parabole du fils prodigue, mais celle du « Père Prodigue et Miséricordieux » que nous devons imiter dans nos relations les uns avec les autres. Que la contemplation de ces visages illumine notre relation de confiance envers Dieu et qu’elle nous incite à nous aimer, à nous reconnaître comme des frères et des sœurs, quelles que soient les raisons qui pourraient nous éloigner les uns des autres. Amen.