« Prenez courage, ne craignez pas, voici votre Dieu […] Il vient lui-même et va vous sauver » (Is 35, 4) Ce message d’espérance que lance le prophète Isaïe et que nous avons entendu comme première lecture se réalise dans le Christ Jésus. C’est lui qui prend l’initiative, c’est lui qui vient. c’est lui qui nous sauve.
Dans l’Évangile de ce jour, Jésus poursuit sa route en pays païens de Tyr à Sidon, dans les territoires de la Décapole « On lui amène un sourd muet et on le prie de poser la main sur lui » (Mc 7, 32). Admirable confiance de ces personnes, dont on ne nous dit rien d’ailleurs ; admirable confiance de ceux qui « amènent » l’homme à Jésus. « Amener à Jésus et le prier de poser la main ». Je voudrais relever 5 points de cet évangile pour nourrir notre vie et notre prière de cette semaine.
- Quelle belle prière, celle qui consiste à « amener à Jésus » en lui demandant seulement de poser la main sur lui. Il y a là, frères et sœurs, une belle présentation de la vraie prière d’intercession. C’est une invitation pour nous à évangéliser notre prière d’intercession. Bien souvent, quand nous faisons des prières d’intercession, sans nous en rendre compte, nous donnons des ordres à Dieu : « fais ceci ; fais cela ; donne la guérison à telle personne ; fais que telle personne ait du travail ; fais que mon petit-fils ait son diplôme ; etc. » Finalement nous donnons des ordres à Dieu pour qu’il soit à notre service. Car nous savons mieux que Lui ce qui nous convient et ce qui convient aux autres. Nous nous faisons le centre… Saint Jean de la Croix, dans son Cantique Spirituel (CS B, strophe 2, § 8) nous indique de quelle manière intercéder. Il nous donne d’abord l’exemple de la Vierge Marie à Cana qui se contente de présenter la situation : « Ils n’ont plus de vin » (Jn 2, 3), puis il évoque les sœurs de Lazare, au lieu d’envoyer demander au Sauveur la guérison de leur frère, se bornèrent à lui représenter : « celui qu’il aimait était malade » (Jn 11, 3) ». Présenter simplement la situation pour que Dieu puisse agir selon les desseins de son amour, pour que son Règne puisse advenir dans cette situation ; pour que son Nom soit sanctifié dans cette situation, pour que sa volonté soit faire… Il y a là un chemin de conversion de nos mentalités et de nos manières de faire pour évangéliser nos prières d’intercession. Amener simplement la situation ou la personne au Seigneur, au Sauveur pour qu’il pose sa main sur elle. « Non pas ma volonté, mais ta volonté… » Silencieusement, discrètement dans le secret de ma prière, “amenerˮ à Jésus et le supplier de “toucher de sa main” n’est-ce pas là un acte de charité, une prière marquée de la sainte indifférence ignacienne ?
- Jésus lève les yeux au ciel pour nous apprendre que c’est de là que les muets doivent attendre la parole, les sourds l’ouïe, et tous les malades leur guérison. Ce geste de lever les yeux au ciel, nous le voyons finalement assez souvent dans notre univers médiatique. Ils sont nombreux les sportifs qui après une victoire lèvent les yeux au ciel, en pensant à un proche parti récemment, ou cher à leur cœur, ou aussi pour remercier Dieu. Lever les yeux au Ciel avant d’agir, c’est la base de la vie chrétienne, c’est le sens de la prière, c’est même la définition qu’en donne sainte Thérèse de l’Enfant Jésus : « Pour moi, la prière, c’est un élan du cœur, c’est un simple regard jeté vers le Ciel, c’est un cri de reconnaissance et d’amour au sein de l’épreuve comme au sein de la joie ; enfin c’est quelque chose de grand, de surnaturel, qui me dilate l’âme et m’unit à Jésus. » (Ms C, 25rv) ». Nous n’avons pas besoin d’attendre de savoir quoi dire pour prier. Lever les yeux vers le ciel, c’est l’essence même de la prière. Lever les yeux vers le ciel et soupirer, c’est dire à Dieu, comme Jésus sur la croix « Père je remets mon souffle, ma vie, entre tes mains ! » (Ps.31:6, Lu.23:46). Cette prière muette de Jésus est une prière qui reconnaît que Dieu est au-dessus de nous et qu’on lui fait confiance pour qu’il nous fasse vivre vraiment, vivre malgré tout ce qui pourrait nous arriver.
- Avec discrétion, Jésus se retire à l’écart avec l’homme qui lui a été amené. Jésus ne veut pas faire du sensationnel, du spectaculaire… mais il veut faire vivre. Nous sommes sans doute un peu déroutés de voir Jésus qui pose des actes très concrets : « il lui mit les doigts dans les oreilles et prenant de la salive, lui toucha la langue, puis les yeux levés au ciel, il soupira » (Mc 7, 33-34). Réalité corporelle de notre foi. Le Verbe de Dieu a pris chair de la Vierge Marie, dont nous venons de fêter la nativité ce samedi 8 septembre. Il a pris un corps d’homme et cela donne une extraordinaire dignité à notre corps tel qu’il est et quel qu’il soit. Les gestes de Jésus nous rappellent que la foi ne se vit pas seulement au niveau de notre intelligence, de notre compréhension des choses. La foi se vit également au niveau de notre corps : à travers l’eau de notre baptême, l’onction d’huile de notre confirmation ou de notre ordination, le pain et le vin de nos eucharisties… Notre foi s’expérimente de manière corporelle à travers les sacrements, à travers des signes corporels de génuflexions, d’agenouillement, etc.
- Jésus lève les yeux pour invoquer le Père et recevoir la force de l’Esprit Saint. Jésus soupire, en fait il gémit : comme le dit saint Bède le vénérable, Jésus gémit, non que ce gémissement fût nécessaire pour obtenir ce qu’il demandait à son Père, avec lequel il exauce lui-même toutes les prières, mais pour nous apprendre que c’est avec des gémissements qu’il faut implorer le secours de la miséricorde divine pour nos péchés ou pour les péchés des autres. (S. Jean Chrysostome). Il gémit encore, parce qu’il s’est chargé de nos intérêts, et qu’il est touché de compassion pour notre nature, en voyant la profonde misère dans laquelle le genre humain était tombé. Ce soupir, c’est la prière du Christ souffrant à nos côtés quand nous souffrons, se faisant muet pour accompagner et soutenir les sans voix, les sans prières, ceux que personne n’écoute. Oui Jésus gémit aujourd’hui face au drame des migrants et des réfugiés de toutes les guerres. Face aux drames de nos vies.
- Son soupir est une prière qui jaillit dans ce cri « effata, c’est-à-dire ouvre-toi » (Mc 7, 34). Jésus ne s’adresse pas ici aux oreilles ou à la langue, il s’adresse à l’homme lui-même. Jésus demande à chacun de nous de s’ouvrir : effata ! Comme le proclame magnifiquement saint Augustin : « ce Dieu qui t’a créé sans toi, ne veut pas te sauver sans toi ». Le Sauveur veut nous voir collaborer à notre Salut. Et notre collaboration consiste simplement à nous ouvrir intérieurement à l’accueil de ce Salut. Consentir à être sauvé ; mais c’est la prière de Jésus à son Père, qui nous obtient la grâce de cette ouverture intérieure. Cet « effata » faisait partie du rite du baptême. Aujourd’hui, il est laissé à l’initiative du prêtre. Laissons résonner cet « effata » dans notre cœur, dans notre corps, dans tout notre être en cet aujourd’hui de Dieu, dans nos temps de prière de cette semaine, dans nos rencontres à venir.
Que le Christ Jésus ouvre nos oreilles pour que nous puissions entendre sa Parole et la laisser prendre corps en nous, qu’il délie notre langue pour que nous puissions chanter avec lui la gloire du Père et devenir les témoins de ses merveilles au cœur du monde. Amen.