Homélie 2ème dimanche de Carême – Année A

2018-01-28T20:19:36+01:0015 mars 2017|

Mes chers frères et sœurs ! Sur notre chemin de Carême, dans notre montée vers Pâques, une lumière vient pénétrer dans les ténèbres. C’est la transfiguration de Jésus. Celle-ci nous montre Jésus dans sa divinité, Jésus glorifié alors que dimanche dernier la liturgie nous l’a montré dans son humanité, marquée par les épreuves et les tentations au désert. Nous sommes donc passés des tentations, des épreuves à la glorification, du Carême à Pâques, de la mort à la vie. Telle est la dynamique de la vie chrétienne : la foi et l’espérance nous disent que le Seigneur est toujours vainqueur de nos tentations et de nos épreuves. Dans l’épisode de la transfiguration, quelques éléments interpellent notre foi en ce temps de Carême.

D’abord la montagne : dans la Bible, la montagne est le lieu de la théophanie, la présence et de la manifestation de Dieu. C’est le lieu d’où il nous invite à écouter sa Parole. Pensez à la Table de la Loi reçue par Moise sur la montagne sainte ; aux béatitudes proclamées sur la montagne. N’oublions pas en cette période de nous mettre nous aussi chaque jour à l’écoute de la Parole de Dieu qui nous parle. Sa Parole, comme Jésus nous l’a rappelé dans ses tentations au désert, est une nourriture pour notre vie.

Il y a aussi la Lumière resplendissante de Dieu : « Je suis la lumière du monde: celui qui marche avec moi ne marche pas dans les ténèbres car il a la lumière de la Vie » nous dit Jésus. L’autre élément, c’est cette nuée qui manifeste la présence de Dieu : pendant l’Exode, la nuée précédant le Peuple libéré de l’esclavage, signifiait la présence et la compagnie de Dieu. Aujourd’hui encore, Dieu nous accompagne dans tout ce que nous vivons. Sommes-nous toujours conscients de la présence bienfaisante et protectrice de Dieu qui nous accompagne chaque jour en ami Fidèle.

Il y a aussi cette invitation en une sorte d’impératif, comme au jour du baptême de Jésus : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, écoutez-le !» Cette voix du Père exclut toutes les nombreuses voix, tous ces bruits en nous et autour de nous que nous sommes appelés à taire en ce temps de Carême pour écouter Dieu qui nous parle, et l’humanité fragile qui crie vers nous ses malheurs et ses angoisses, en appelant à notre sens de la solidarité, de l’accueil, du partage, de la réconciliation dans la famille, la communauté, au travail, dans ce monde.

Il semble parfois que l’expérience de la Transfiguration du Christ soit une sorte de parenthèse encourageante sur notre route « quasi-tragique du Carême ». C’est comme si, dans une vallée de larmes et d’épreuves que nous traversons, Jésus nous encourageait en nous faisant goûter et contempler un peu de sa splendeur et de sa gloire sur le mont Tabor. Courage, nous dit-il, malgré vos épreuves! Tenez bon car la gloire vous attend si vous restez fidèles à mes commandements.

Cependant, Jésus ne veut pas que ses disciples témoins de l’expérience consolante et heureuse de la transfiguration en restent là : il leur faut revenir dans l’ordinaire, le train-train du quotidien pour témoigner en agissant. Jésus ne veut pas que ses disciples, après avoir fait une telle expérience spirituelle en restent là, dans leur joie, sans s’engager pour les autres : «Seigneur, il est heureux que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie » lui dit Pierre. Ils sont sur leur petit nuage qu’ils ne veulent pas quitter.

Jean, Jacques et Pierre me font penser à tous ces bons chrétiens qui sont tellement bien entre eux, dans leur village, leur église locale, leur petite association, leur équipe, leur groupe, où ils sont tous devenus une bande de vieux copains ; leur CPL bien formée et bien fermée désormais… ces chrétiens qui ne voient plus d’intérêt à inviter de nouvelles personnes, qui n’osent plus aller aux périphéries comme nous y invite le pape François, aller dans d’autres villages, mouvements, services, groupes… ces chrétiens qui ont refusé d’être des disciples missionnaires parce qu’ils se trouvent tellement bien entre eux, vivant désormais en vases clos…

Jésus demande aux trois disciples d’aller vivre, témoigner de cette gloire du Tabor dont ils ont été bénéficiaires. Ils doivent descendre du mont Tabor pour pouvoir faire une autre montée : celle du Calvaire. La vie chrétienne est un va-et-vient incessant, un mouvement alternant joie et peine, montée et descente, consolation et désolation, mort et résurrection, comme la vie du Christ lui-même.

L’autre élément qui me frappe dans cet épisode est l’interdiction faite par Jésus aux disciples d’en parler avant la résurrection. Pourquoi doit-on cacher une joie immense ? Remarquez que plusieurs fois dans l’Evangile, après une guérison, Jésus interdisait aux malades, lépreux, muets ou sourds… bénéficiaires d’un miracle d’en parler. Mais plus il y avait cet interdit, plus ils en parlaient pour rendre grâce et glorifier Dieu. Ici, seule la résurrection permettra aux disciples de saisir le mystère de la transfiguration. Nous sommes aussi appelés à entrer dans cette obéissance et à respecter le silence des apôtres en ce temps de carême… car ceci sera compréhensible pour nous à la résurrection, au matin de Pâques.

La transfiguration du Christ pourrait aussi être prise pour une lumière passagère. C’est comme si Jésus disait à Jacques, Jean et Pierre : « courage, résister à la fatigue, au sommeil et aux souffrances d’aujourd’hui parce que tout ceci passera et demain vous serez dans la joie totale ». Une telle conception serait une grave erreur. La consolation chrétienne, la joie véritable ancrée dans le Christ n’est jamais passagère. Nous ne pouvons pas projeter la joie chrétienne dans un avenir utopique, mais aliénant ! Marx se moquerait bien de nous, dans ce cas.

Jésus dit à ses disciples « Que votre joie demeure !» Pour les chrétiens, il est possible d’être dans la joie du ciel déjà aujourd’hui. Le Carême nous invite à regarder tout autour de nous pour voir nos frères et sœurs qui ont perdu cette joie à cause de vicissitudes et épreuves de la Vie, pour leur venir en aide. Pour les chrétiens, le bonheur n’est pas projeté dans l’au-delà, après la mort : la gloire de Dieu brille déjà dans notre histoire présente. C’est cela dont nous devons témoigner malgré tout, même dans les épreuves.

Ce lien étroit existant entre gloire et épreuve est manifeste particulièrement dans deux moments importants de la vie du Christ : la transfiguration et l’agonie dans le Jardin de Gethsémani. Dans les deux cas, Jésus est accompagné par trois apôtres Pierre, Jacques et Jean. Dans les deux cas, Jésus se retire dans un endroit secret, dans la solitude pour parler à son Père, comme le Carême nous y invite depuis le mercredi des Cendres. Dans les deux épisodes, les trois apôtres sont spectateurs apeurés devant un grand mystère qui les dépasse. Ils ne sont pas de vrais et réels protagonistes qui agissent et contrôlent la situation. Dans les deux cas, à Gethsémani et au Tabor, Jésus est le seul protagoniste qui contrôle réellement la situation.

Pendant le Carême, Jésus nous invite à nous ouvrir à lui, seul protagoniste capable de transfigurer notre quotidien si nous le laissons entrer dans notre vie et habiter la routine de notre quotidien, nos va et-vient routiniers et stressants entre la famille, la maison, le travail, les engagements associatifs, sportifs….

Oui, la réalité de la transfiguration se pose sur toutes les situations angoissantes de notre vie. Laissons la lumière du Christ transfiguré briller sur nos vêtements remplis de sueur et de poussière, ces vêtements sales que nous parfumons parce que nous voulons paraître, travailler nos apparences et notre image alors qu’au fond, habitent en nous la peur, l’angoisse et le non-sens. Jésus se transfigure aujourd’hui là où les visages sont défigurés par les injustices, les discriminations, l’exil, la guerre, les angoisses, les jalousies, les rivalités…. Nos visages tristes peuvent croiser son regard resplendissant. Nos corps affaiblis, nos muscles souffrants peuvent être touchés par la main douce et réconfortante du Christ qui descend du Tabor. Nos oreilles fatiguées d’entendre les paroles agressives et violentes de la campagne politique, de nos querelles familiales ou communautaires, de nos rivalités professionnelles… peuvent se reposer dans les Paroles douces du Père qui nous invite à écouter son Fils qui est doux et humble de cœur !

Seigneur, en ce temps de Carême, vient transfigurer nos vies. Aide-nous aujourd’hui déjà à construire un monde meilleur, plus juste, plus fraternel, plus accueillant, plus solidaire qui reflète ta présence et préfigure ta gloire éternelle. Amen.

Ancien curé de l'ensemble paroissial