La foi dans le Ressuscité nous sauve de la mort. La mort est puissante, mais laissez-moi vous dire que Dieu est plus puissant que la mort. C’est l’évidence qui nous aide à avancer quand nous traversons la dure épreuve du deuil. Notre Seigneur Jésus, mourant sur la croix et ressuscitant le troisième jour, nous montre qu’il est plus puissant que la mort qu’il a vaincue par ce mystère de notre foi qui nous réunit aujourd’hui. En pensant ces derniers temps aux membres de ma propre famille et à mes amis qui sont morts cette année, à Elena, cette paroissienne de Montberon décédée dans la nuit de lundi à mardi, veille de la fête de tous les saints, en pensant à ces nombreuses personnes pour qui nous prions aujourd’hui en cette Commémoration des Fidèles défunts et dont nous avons, comme une sorte de liste litanique en forme de prière, énuméré les noms au début de cette célébration – ces noms qui sont inscrits dans le cœur de Dieu, je me rends compte combien la foi est une force, une richesse. Je dirais même que c’est la plus grande richesse qui nous permet d’affronter « l’angoissante question du mystère » de la mort. Combien de fois avons-nous entendu dire, lors de funérailles difficiles : « comment font ceux qui ne croient pas pour supporter une telle épreuve? »
Toutes les sociétés au monde, à travers l’histoire de l’humanité, expriment chacune à leur manière, leur propre culture et croyance de la mort et de l’au-delà. Ces sociétés, à chaque époque de l’histoire, se posent la question du mystère de la mort, même si chacune en donne une réponse différente selon les lieux et les époques. Alors, quelle serait la meilleure réponse face à ce grand mystère de la mort ? Une telle question est inutile. La réponse que chacun de nous donne à la question du mystère de la mort est toujours en lien avec la réponse que chacun de nous donne au sens de sa vie. Notre vision de la vie conditionne forcément notre vision de la mort. « Dis-moi comment tu vis avec ceux qui sont autour de toi, je te dirais comment tu conçois la mort ! ». Plus nous donnons du sens à notre vie présente, plus nous aimons ceux qui sont autour de nous, moins la question de la mort est problématique.
J’ai fait ce constat en contemplant l’histoire de notre humanité : dans notre société où l’économie, les sciences, la médecine et la technologie font des progrès extraordinaires, bref, dans nos sociétés post-modernes qui nous permettent d’améliorer la « qualité de notre vie », prolongeant parfois de manière étonnante notre espérance de vie, la mort n’est plus considérée comme l’accomplissement d’une vie, fût-elle brève comme celle de Mathys, Ethan que nous avons enterrés à peine sortis du sein maternel. Bien au contraire, dans nos sociétés post-modernes très développées, dans lesquelles tout nous promet une immortalité terrestre, la mort a perdu toute sa signification. Cependant, elle est aussi devenue plus dramatique qu’à n’importe quelle époque de l’histoire. Plus que jamais, l’homme de notre temps, croyant ou non, se pose la question du sens de la vie d’ici-bas, et celle à venir. C’est le constat que fait le Concile Vatican II en regardant notre société, il y a de cela plus de cinquante ans dans Gaudium et Spes 10 : « Il en est d’autres qui, désespérant du sens de la vie, exaltent les audacieux qui, jugeant l’existence humaine dénuée par elle-même de toute signification, tentent de lui donner, par leur seule inspiration, toute sa signification. Néanmoins, le nombre croît de ceux qui, face à l’évolution présente du monde, se posent les questions les plus fondamentales ou les perçoivent avec une acuité nouvelle. Qu’est-ce que l’homme ? Que signifient la souffrance, le mal, la mort, qui subsistent malgré tant de progrès ? À quoi bon ces victoires payées d’un si grand prix ? Que peut apporter l’homme à la société ? Que peut-il en attendre ? Qu’adviendra-t-il après cette vie ? »
Notre société de progrès et de consommation nous pousse à considérer la mort comme un échec, comme le plus dramatique des échecs, un échec profond et total. Cependant, en regardant les sociétés dans nos villages il y a encore cinquante ans, chez les paysans dans les sociétés agricoles, celles dans lesquelles ont grandi la plupart des personnes du troisième âge d’aujourd’hui, ou celles où sont nées la plupart des défunts pour qui nous prions aujourd’hui, nous nous rendons compte qu’il y avait une certaine familiarité avec la mort. C’est aussi cela que nous vivons dans les sociétés qualifiées de « traditionnelles » comme en Afrique.
Ces anciens n’avaient pas toute la richesse et les progrès dont nous jouissons aujourd’hui. Leur mode de vie simple et empli de foi les aidait à ne pas considérer la mort comme un échec, même si elle a toujours été un drame, même pour eux aussi. La mort était pour eux, comme elle est pour nous aussi aujourd’hui, l’expression du caractère précaire et finie de l’existence humaine. Mais elle était aussi vue par eux comme la porte, la condition nécessaire, l’opportunité pour aller dans cet au-delà de la vie présente, une vie infiniment meilleure que celle à laquelle nous nous attachons tellement sur la terre, une vie dans laquelle il n’y a plus ni deuil, ni larme, ni douleur, mais seulement la paix et la joie de contempler le Visage de Dieu. Nos grands-parents n’avaient pas nos canons actuels d’efficacité, de performance, de perfection, d’esthétique exaspérée, du plaisir immédiat et disponible à tout moment, du tout est possible ici et maintenant…et c’est pour cela qu’ils avaient moins peur de la mort que nous aujourd’hui.
A cette richesse culturelle et sociale, s’ajoute la foi chrétienne qui venait l’éclairer et lui donner un sens. C’est la grâce que nous voulons demander au Seigneur aujourd’hui « pour nous les vivants » dans cette célébration eucharistique. C’est seulement dans la foi, c’est-à-dire, dans l’adhésion personnelle au Christ Mort et Ressuscité que nous pouvons trouver une réponse à cette angoissante question de la mort. N’attendons pas que l’Eglise nous donne une réponse toute faite à cette question.
Elle n’y répondra jamais de manière conceptuelle. L’Eglise nous présente un Visage, celui du Crucifié, qui a aimé jusqu’au bout, et qui est Ressuscité. C’est lui, le Christ Jésus, le Ressuscité, qui nous rassure devant la mort. Il nous dit que devant la mort, nous ne sommes jamais seuls car Il est avec nous. Avec Jésus Ressuscité, la mort qui était signe et manifestation de l’échec total, devient une porte ouverte à l’éternité. Le Ressuscité nous demande de vivre notre vie présente avec intensité, passion et amour, comme si chaque jour était le dernier sur la terre, nous ouvrant à l’éternité, et avec enthousiasme comme si chaque jour vécu était le premier de notre vie.
Le Ressuscité nous dit que devant les échecs et les chutes de la vie, il y a toujours l’espérance en un Dieu qui n’est pas Juge-Justicier parce qu’Il ne donne pas de prime ni de châtiment en fonction des œuvres accomplies ou des souffrances que nous avons supportées. Il est un Dieu qui est Père et qui attend la foi, le oui généreux, de chacun de ses enfants pour prendre soin d’eux dès ici-bas et pour l’éternité…
C’est vers ce Père plein d’Amour que nous nous tournons aujourd’hui, en Lui demandant de prendre soin de ceux et celles que nous aimons, que nous pleurons. Lui qui est puissant dans son Amour, qu’Il leur donne de vivre ce que nos yeux de chair ne peuvent voir et que notre intelligence limitée n’arrive pas à comprendre. Qu’Il nous donne la grâce de la Foi, de l’Espérance et de l’Amour, ces vertus théologales qui nous permettront de contempler son Visage, pour la vie éternelle, avec tous ceux et celles qui nous ont précédés auprès de lui et auxquels nous pensons au cours de cette célébration eucharistique. Amen.