Homélie du 3è dimanche de Carême : Et au bout, l’espérance de Pâques !

2020-03-16T00:15:03+01:0015 mars 2020|

Dans toutes les lectures de ce dimanche de carême, on nous parle de l’eau, comme symbole de vie (Ex 17, 3-7 ; Ps 94 ; Rm 5, 1-2, 5-8 ; Jn 4, 5-42). Dans le désert, Moïse fait jaillir par son bâton de l’eau du rocher, pour faire boire le peuple et les troupeaux. Dans l’évangile Jésus nous parle du don de l’eau vive : si tu savais le don de Dieu, et quel est celui qui te demande à boire c’est toi qui l’en aurait prié et il t’aurait donné de l’eau vive.

Dans notre quotidien tragique, le lavage des mains, avec l’eau ou le gel hydro-alcoolique semble être le seul moyen de ralentir l’épidémie, avec les limitations des rencontres et des évènements en tout genre. Là aussi l’eau est au secours de la vie humaine contre le coronavirus.

Le scrutin des catéchumènes aujourd’hui est tourné vers le bain d’eau de la nouvelle naissance qu’est leur baptême, qui lave de tout mal du passé.

Alors revenons à ce que fait Jésus avec cette femme de Samarie : il nous invite à prendre un peu de recul par rapport à l’évènement qui menace notre humanité, et il nous montre ce qu’il veut faire avec nous en ce temps de carême et particulièrement avec les catéchumènes : éveiller en nous la soif profonde, la soif de Dieu.

Notons d’abord que Jésus ne respecte pas le principe de précaution des juifs à l’époque : ne pas parler à une femme, et en plus une samaritaine. Jésus garde sa liberté pour aller à la rencontre de celle qui est malade d’amour, comme la suite de la rencontre va nous le révéler.

C’est au nom de ce principe de précaution, de protection des plus vulnérables que sont prises des mesures de restriction ou de suspension de très nombreuses activités, en vue de ralentir la progression du virus et de permettre de mieux accueillir les malades gravement atteints en réanimation dont les lits sont comptés. Nous comprenons et nous respectons les mesures draconiennes imposées par l’autorité légitime civile et religieuse, mais jusqu’où va aller ce principe de précaution : est-il légitime d’interdire les visites aux personnes âgées et la communion aux malades pendant plusieurs mois et, aurons-nous pour la première fois de l’histoire de l’Église l’absence de messe pour la semaine sainte et Pâques ?

Heureusement que les personnels soignants et les chauffeurs de bus n’appliquent pas ce principe ainsi que les caissières et tant d’autres corps de métier, sans parler des grands parents qui vont prendre le risque de garder leurs petits-enfants, sinon la vie disparaîtrait encore davantage. Le pape invite d’ailleurs les prêtres à visiter les malades, pas à se protéger du virus.

La rencontre entre Jésus et cette femme se présente sous une expérience normale de la vie quotidienne : celle de la soif qui est une des expériences humaines basiques. Ensuite dans la conversation, on passe à la soif de vivre. La réalité qui entre en jeu c’est qu’ on a toujours besoin de boire, on a toujours besoin de la source. Ainsi cette femme devient consciente de ce qu’elle sait déjà comme tout être humain, sans l’avoir à l’esprit dans le déroulement quotidien. Qu’elle a soif de la vie en général et que tous les apaisements qu’elle cherche et trouve ne peuvent véritablement apaiser cette soif vitale que Jésus lui révèle.

L’épidémie suspend nombre d’activités culturelles et sportives, éloigne les gens les uns des autres, et va contribuer à peser ce qui compte vraiment dans nos vies, et peut-être aider à revenir à l’essentiel, à ce qui est vital.

Je vous cite ce long message venant d’Italie où les gens vivent déjà depuis plusieurs jours cette tragédie :

La Speranza

La Speranza en Italie ces jours-ci, c’est le ciel d’un bleu dépollué et provocant, c’est le soleil qui brille obstinément sur les rues désertes, et qui s’introduit en riant dans ces maisonnées qui apprennent à redevenir familles.

La Speranza ce sont ces post-it anonymes par centaines qui ont commencé à couvrir les devantures fermées des magasins, pour encourager tous ces petits commerçants au futur sombre, à Bergame d’abord, puis, comme une onde d’espérance – virale elle aussi – en Lombardie, avant de gagner toute l’Italie : « Tutto andrà bene <3 » (et comment ne pas penser à ces paroles de Jésus à Julienne de Norwich « …ma tutto sarà bene e tutto finirà bene »* ?),

La Speranza c’est la vie qui est plus forte et le printemps qui oublie de porter le deuil et la peur, et avance inexorablement, faisant verdir les arbres et chanter les oiseaux.

La Speranza ce sont tous ces professeurs exemplaires qui doivent en quelques jours s’improviser créateurs et réinventer l’école, et se plient en huit pour affronter avec courage leurs cours à préparer, les leçons online et les corrections à distance, tout en préparant le déjeuner, avec deux ou trois enfants dans les pattes.

La Speranza, tous ces jeunes, qui après les premiers jours d’inconscience et d’insouciance, d’euphorie pour des « vacances » inespérées, retrouvent le sens de la responsabilité, et dont on découvre qu’ils savent être graves et civiques quand il le faut, sans jamais perdre créativité et sens de l’humour : et voilà que chaque soir à 18h, il y aura un flashmob pour tous… un flashmob particulier. Chacun chez soi, depuis sa fenêtre… et la ville entendra résonner l’hymne italien, depuis tous les foyers, puis les autres soirs une chanson populaire, chantée à l’unisson. Parce que les moments graves unissent.

La Speranza, tous ces parents qui redoublent d’ingéniosité et de créativité pour inventer de nouveaux jeux à faire en famille, et ces initiatives de réserver des moments « mobile-free » pour tous, pour que les écrans ne volent pas aux foyers tout ce Kairos qui leur est offert.

La Speranza – après un premier temps d’explosion des instincts les plus primaires de survie (courses frénétiques au supermarché, ruée sur les masques et désinfectants, exode dans la nuit vers le sud…) – ce sont aussi les étudiants qui, au milieu de tout ça, ont gardé calme, responsabilité et civisme… qui ont eu le courage de rester à Milan, loin de leurs familles, pour protéger leurs régions plus vulnérables, la Calabre, la Sicile… mais surtout qui résistent encore à cet autre instinct primaire de condamner et de montrer du doigt pleins de rage ou d’envie, ceux qui n’ont pas eu la force de se voir un mois isolés, loin de leur famille, et qui ont fui.

La Speranza c’est ce policier qui, lors des contrôles des « auto-certificats » et tombant sur celui d’une infirmière qui enchaîne les tours et retourne au front, s’incline devant elle, ému : « Massimo rispetto ».

Et la Speranza bien sûr, elle est toute concentrée dans cette « camicia verde » des médecins et le dévouement de tout le personnel sanitaire, qui s’épuisent dans les hôpitaux débordés, et continuent le combat. Et tous de les considérer ces jours-ci comme les véritables « anges de la Patrie ».

Mais la Speranza c’est aussi une vie qui commence au milieu de la tourmente, ma petite sœur qui, en plein naufrage de la Bourse, met au monde un petit Noé à deux pays d’ici, tandis que tout le monde se replie dans son Arche, pour la « survie », non pas des espèces cette fois-ci, mais des plus vulnérables.

Et voilà la Speranza, par-dessus tout : ce sont ces pays riches et productifs, d’une Europe que l’on croyait si facilement disposée à se débarrasser de ses vieux, que l’on pensait cynique face à l’euthanasie des plus « précaires de la santé »… les voilà ces pays qui tout d’un coup défendent la vie, les plus fragiles, les moins productifs, les « encombrants » et lourds pour le système-roi, avec le fameux problème des retraites…

Et voilà notre économie à genoux. À genoux au chevet des plus vieux et des plus vulnérables. Tout un pays qui s’arrête, pour eux…

Et en ce Carême particulier, un plan de route nouveau : traverser le désert, prier et redécouvrir la faim eucharistique et la soif de la vie véritable. Vivre ce que vivent des milliers de chrétiens de par le monde. Retrouver l’émerveillement. Sortir de nos routines…

Et dans ce brouillard total, naviguer à vue, réapprendre la confiance, la vraie. S’abandonner à la Providence.

Et apprendre à s’arrêter aussi. Car il fallait un minuscule virus, invisible, dérisoire, et qui nous rit au nez, pour freiner notre course folle.

Et au bout, l’espérance de Pâques, la victoire de la vie à la fin de ce long carême, qui sera aussi explosion d’étreintes retrouvées, de gestes d’affection et d’une communion longtemps espérée, après un long jeûne.

Et l’on pourra dire avec saint François « Loué sois-Tu, ô Seigneur, pour fratello Coronavirus, qui nous a réappris l’humilité, la valeur de la vie et la communion ! ».

Courage, tous les paroissiens, n’ayez pas peur : Moi, j’ai vaincu le monde ! (Jn 16, 33)

Courage catéchumène, Si tu savais le don de Dieu

Père Pierre Protot