Mes chers frères et sœurs. A quoi servirait d’être appelé «chrétiens » si nous ne laissons pas le discours sur la Montagne, et en particulier les Béatitudes du Royaume nous éclairer, donner de la saveur à notre vie, nous transfigurer comme une ville placée au sommet d’une montagne et regardée, même au loin, par tous ? Un chrétien désire chaque jour devenir sel de la terre et lumière du monde. Depuis quelques semaines, Jésus insiste sur cette révolution intérieure que nous sommes appelés à vivre.
Ce dimanche, Jésus veut nous donner d’autres outils pour nous conduire au bonheur. Il veut notre liberté. Il refuse d’être considéré comme un anarchiste sans normes ni lois, un libertaire qui prône la liberté absolue comme certains adolescents qui confondent l’amour avec leurs propres appétits et désirs, ceux qui veulent plier Dieu à leurs propres idéologies et théories morales. Jésus refuse de supprimer la Loi de Moïse. Sa mission est de nous aider à retrouver sa source et son fondement originel, nous plonger dans le cœur de la Loi.
Cette Loi, dans la Bible, joue le rôle d’une flèche, un panneau qui nous indique la direction à prendre pour ne pas nous perdre. En effet, la Loi a été donnée par Dieu comme indication qui nous mène vers le bonheur véritable, pour nous conduire dans le choix pour la vie et contre la mort : « Alors le Seigneur nous a commandé de mettre en pratique tous ces décrets, pour que nous craignions le Seigneur notre Dieu : ainsi, nous serons toujours heureux et il nous gardera en vie comme nous le sommes aujourd’hui » nous dit le livre du Deutéronome, après que le peuple a reçu la Table de la Loi (Dt 6, 24). Ces normes et ces lois deviennent comme un manteau attestant de notre amour envers Dieu et son prochain, un engagement qui structure la vie en société et notre relation avec Dieu. Cette Loi avait été donnée par Dieu à Moïse, et par ce dernier, à tout le Peuple du haut de la montagne en signe de l’Alliance.
Dans le Nouveau Testament, avec les Béatitudes que nous avons écoutées il y a 15 jours et qui introduisent le Discours de Jésus sur la Montagne, Jésus vient compléter ces normes de l’Ancienne Alliance. Il nous met en garde et s’insurge contre tous ceux qui se permettent de changer, modifier, d’enlever même une virgule à ces normes. Malheur à celui qui transgresse un seul petit précepte du discours sur la Montagne. Pourtant, Jésus ne veut pas être pris pour un légaliste rigide et sans cœur ! Il nous aide à interpréter la Loi et les normes pour mieux les comprendre afin de mieux vivre avec Dieu et avec les autres. Toute société, toute religion, toute vie en communauté a besoin de quelques normes.
Pour éviter toute incompréhension, Jésus aborde des questions bien spécifiques, bien précises et concrètes, six interprétations de la Loi qui, de son point de vue, ont été largement usurpées et trahies par le peuple. Vue la complexité de ces thèmes, je n’en prendrai que deux.
Accusé de ne pas respecter les prescriptions de la Loi, Jésus réfute ces accusations en montrant comment ce sont ses propres adversaires qui sapent la Loi. C’est ainsi qu’il relit, réinterprète les Écritures, la Loi et les reporte à leur origine. Il prend les normes mises en place par un groupe d’experts qui voulait protéger la Loi de Moïse, mais pour les démonter et les réinterpréter une à une de manière renouvelée. L’expression « Il vous a été dit que….mais moi je vous dis …» montre que Jésus se met au-dessus de la mêlée pour interpréter de manière renouvelée la Loi de Moïse. Cela choque les auditeurs parce que, pour eux, cet homme qui parle ainsi n’est qu’un pauvre charpentier de Nazareth, devenu prophète et rabbi sans avoir fait d’études particulières de la Loi. Personne n’aurait pu faire une chose pareille. Aucun rabbin ne pouvait se permettre de contester les préceptes de la Loi. En se lançant dans cet exercice, Jésus manifeste son autorité et souligne qu’il a autorité sur la Loi, chose que personne d’autre n’aurait faite.
Les deux premiers préceptes abordés par Jésus sont liés. Il s’agit du binôme de la violence ( meurtre) et du pardon. La Loi de Moïse interdit le meurtre. « Tu ne tueras point ! ». La Loi sanctionne le meurtre par une peine capitale. Quelles que soient les circonstances, sauf en cas de légitime défense, la Loi de Moïse condamne le meurtrier par la peine capitale. Après avoir longuement parlé de la miséricorde l’année dernière, nous aurions attendu plus de clémence de la part de Jésus. Bien au contraire, sa position est plus radicale. Jésus nous rappelle que nous sommes tous meurtriers dans diverses circonstances, et que nous pouvons tuer de mille manières. A part la lance, le couteau, la machette, le fusil, nous avons d’autres armes sournoises et redoutables que nous utilisons pour commettre des meurtres qui ne disent pas leur nom, mais qui le sont dans notre cœur. Le jugement sur les autres, les calomnies, la critique facile, la médisance…Ce sont là mille manières d’assassiner quelqu’un. Les adversaires politiques, les parents que je n’aime pas assez, les membres de la communauté que je déteste voir, cette personne que je salis en l’accusant de tous les maux, de tous les défauts, seulement pour sauvegarder mes intérêts, ce collègue de travail dont je suis jaloux, même s’il est un peu casse-pieds sur les bords… tous ces gens ne sont pas des ennemis, stupides, méchants, voleurs, violeurs… comme je le dis souvent en public ou en cachette. Jésus me dis même que ces gens sont d’abord des frères et des sœurs. Il est très facile de détruire quelqu’un par certaines accusations, le clouer au pilori, le suspendre au crochet du boucher, le laminer moralement en l’accusant de tous maux… par nos paroles. Mais, même lavé de toutes ces accusations plus tard, cet homme ou cette femme, sali, restera porteur de cette accusation et ne pourra plus laver sa réputation et son honneur. Soyons vigilants et charitables car il y a des accusations et des critiques qui provoquent la mort morale, sociale, ecclésiale de quelqu’un.
S’il m’est arrivé d’utiliser cette violence cachée, intérieure, par la haine, la rancœur, la médisance, le faux jugement, la critique facile… Jésus nous donne un instrument précieux de réparation : la demande de pardon. Admettre d’avoir dépassé la limite de la charité dans nos paroles, garder de la rancœur, de la haine qui tue : le Seigneur me conseille de demander pardon. Ce pardon est supérieur au culte, au rite. Pour les rabbins dans le judaïsme, il était interdit d’interrompre la liturgie ou le temps de prière, quelle que soit la raison car il s’agit d’un temps sacré. Même si un serpent me mord le pied pendant la prière, je dois poursuivre ce temps de prière. C’est dans ce contexte que la proposition de Jésus s’oppose à la pratique habituelle : Jésus nous invite à quitter l’église, à interrompre le temps de prière pour aller nous réconcilier avec le frère ou la sœur, faire la paix d’abord pour ensuite venir poursuivre le temps de prière. « Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande, là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande ». Si nous ne le faisons pas, si nous restons en prière et refusons de se réconcilier avec celui que nous considérons comme ennemi, notre prière risque de ne pas être écoutée. Il est quand même dommage de voir dans une même église, au cours de la messe, des gens qui célèbrent ensemble et qui se regardent en chiens de faïence, qui nourrissent haine, mépris, rancœur…. avec le voisin du banc d’à côté, et qui sont incapables de se donner la main au moment du signe de la paix. Heureusement que pendant la messe, dès le début de la célébration, nous demandons pardon pour nos péchés commis en parole, en pensée, par action et par omission…
L’autre thème abordé par Jésus est plus délicat encore, surtout à notre époque. Il s’agit de l’adultère. Nous avons beaucoup de mal à en parler… et je risque d’être taxé de moralisateur parce que j’en parle. Ce péché très grave est banalisé dans notre société. J’ai même entendu des prétendus psychologues, des journalistes, des sexologues, dans les médias recommander l’adultère comme moyen de sauver son coupe qui va mal…. Il est très dommage de voir combien la société banalise cette pratique.
Dans l’Ancien Testament, les rabbins et les pharisiens interprétaient et punissait l’adultère aux dépens des femmes !! Pensez à l’épisode de la femme adultère présentée à Jésus, et que tout le monde voulait lapider. Où était l’homme, son amant ? Non, seule la femme, comme dans certains pays aujourd’hui encore, était punie d’adultère. Même le divorce était traité de manière purement machiste, aux dépens des femmes qui étaient considérées comme la propriété des hommes. Dans la culture de l’époque, la femme appartenait à l’homme, était l’objet de ses désirs, lui servait pour faire des enfants. Le mari pouvait donc répudier sa femme à n’importe quel moment, sans procès devant le juge… Jésus s’insurge contre cette pratique qui s’oppose et trahit la volonté de Dieu sur la vie matrimoniale. Le dessein de Dieu, c’est que l’homme et la femme vivent ensemble toute leur vie, comme ils le promettent au jour de leur mariage, que leurs passions et leurs sentiments soient au service et pour le bonheur l’un de l’autre, sans domination ni mépris, sans rabaisser l’autre à un objet de satisfaction de sa concupiscence et ses désirs… qui partent toujours du regard. Le Seigneur Jésus est réaliste ! Il sait que la fidélité dans un couple est un exercice parfois difficile, que les tentations sont fréquentes. Aujourd’hui d’ailleurs, avec les moyens de communication, cette tentation vient à notre rencontre, elle vient nous chercher partout, sur notre tablette, notre téléphone, devant la télévision, sur les panneaux publicitaires… L’adultère, c’est ce péché qui est énorme, impardonnable quand nous en sommes victimes, mais pour lequel nous trouvons des excuses et des circonstances atténuantes quand nous en sommes l’auteur. Le Seigneur nous invite à faire attention, à ne pas baisser la garde, à rester vigilants, à être prudents dans nos actes et dans notre regard car la tentation, le risque de trahir notre conjoint et nous même, de briser notre vie de couple est toujours présent. Luttons contre cette habitude de se justifier toujours, de rejeter la faute sur l’autre, de se trouver des circonstances atténuantes (comme depuis la nuit de temps jusqu’aujourd’hui)… qui nous conduira certainement à casser notre couple, notre vocation, notre vie consacrée au Seigneur, chose que nous pourrons regretter plus tard. Le Seigneur nous appelle donc à la sagesse, à être vigilants et prudents, à prendre soin de notre conjoint et de nous-même… dans la fidélité et dans l’amour.
Que le Seigneur nous guérisse de la parole, de la haine et de la rancœur meurtrières qui nous habitent parfois. Qu’Il donne la grâce de la pureté du cœur et de la fidélité aux époux et aux consacrés. Amen.