Homélie XXVIII dimanche – année C

2018-01-28T20:19:50+01:0011 octobre 2016|

Mes chers frères et sœurs. L’événement qui est relaté dans l’évangile de ce dimanche se passe à la frontière entre la Samarie et la Galilée, deux régions se considérant mutuellement comme ennemies. Il s’agit d’un récit propre à l’évangile de Luc, qui le situe entre le récit sur le « Serviteur inutile » que nous avons écouté dimanche dernier et le discours eschatologique sur le Règne à venir. Par cette traversée géographique tortueuse qu’est le passage entre la Samarie et la Galilée, l’évangéliste Luc veut nous dire que dans la traversée de notre vie, le passage de la foi -que nous avons tous ici j’espère, même en germe pour ceux qui ne viennent que pour la réouverture de l’église de Cépet- à l’entrée dans le Royaume de Dieu, est un passage tortueux et difficile. Il ne suffit pas d’avoir la foi pour entrer dans le Royaume des Cieux. Luther disait que seule la foi sauve, mais saint Luc nous rappelle que la foi ne suffit pas à elle seule.

Dans cette traversée, de la Samarie à la Galilée, il y a une grande histoire, dans laquelle nous trouvons de nombreuses petites histoires. L’histoire de l’humanité se construit par l’histoire de chaque humain, à toutes les époques. D’ailleurs, même notre propre histoire est traversée par d’autres petites histoires, belles ou laides, qui nous choquent, nous émeuvent et nous scandalisent… mais qui nous poussent à donner du sens à notre propre histoire.

C’est l’histoire de cette église de Cépet qui est inaugurée, qui est passée par des hauts et des bas pendant les travaux, qui a failli brûler après les travaux parce qu’une voiture probablement volée a été incendiée contre l’église. Elle a été sauvée parce qu’un gendarme, puis des pompiers, des paroissiens sont venus au secours ! Nous leur disons notre reconnaissance comme le lépreux de l’évangile d’aujourd’hui ! C’est histoire de ces migrants, des réfugiés, des chômeurs, des malades, des victimes du terrorisme…. ces histoires nous émeuvent, nous font souffrir et nous choquent sans que nous trouvions de solutions définitives pour y mettre fin.

C’est l’histoire des exclus de nos communautés paroissiales parfois fermées. C’est celle des personne âgées isolées, mourant de solitude dans nos sociétés, même dans nos petits villages. C’est celle des exclus parce que pauvres, chômeurs, handicapés, ou simplement différents par leur couleur de peau, leur culture, ou leur religion, surtout actuellement où nous sommes tentés d’exclure les musulmans en confondant islam et terrorisme.

C’est l’histoire des lépreux de l’évangile d’aujourd’hui qui, tout en vivant dans un village habité sont séparés des autres et tenus à bonne distance. Cette distance est prescrite par la Loi de Moïse, la loi devenant une sorte de mur de haine et de séparation. C’est une Loi qui tout en défendant certaines personnes, en exclut d’autres. C’est parfois le paradoxe de la Loi de Moïse dans la Bible. L’image est tellement actuelle pour nous aujourd’hui : nous habitons la même planète, le même monde globalisé, mais nous sommes séparés les uns des autres. Nous sommes dans le même monde devenu un grand village, mais nous cohabitons dans la séparation, les uns à côté des autres à cause des différentes lèpres qui provoquent de multiples blessures sanitaires, sociales, psychologiques, religieuses, idéologiques et politiques…

C’est la société, c’est-à-dire nous-mêmes, qui produisons ces lèpres portant divers noms : l’exclusion, pauvreté, misère, famine, hérésie, idéologie, race, intégrisme, guerre, immigration… C’est une liste interminable de situations, de dynamiques, d’implications devant lesquelles un chrétien digne de ce nom ne peut rester indifférent, car cela nous touche, de près ou de loin, qu’on le veuille ou non, et le pape François nous dit que ne pouvons pas rester indifférents à ces situations d’exclusion.

Toutes ces lèpres nécessitent d’abord un cœur, des tripes, avant de mettre en place des politiques et stratégies. D’ailleurs, une stratégie qui ne regarde pas d’abord l’humain dans les yeux, qui ne refuse pas avant toute chose de fermer les yeux aux malheurs et larmes, celle qui refuse d’entendre d’abord les cris et les pleurs, comme celle des Haïtiens et habitants des Caraïbes encore victimes de catastrophes naturelles, comme l’ouragan Matthew, est vouée à l’échec.

Il nous faut revenir à la vérité de l’homme dans sa simple capacité relationnelle. Mais pas n’importe quelle relation. Il s’agit de la relation du cœur, celle qu’on appelle aussi la compassion, la tendresse, la miséricorde…Cette relation du cœur, comme nous le répète le pape François, en cette année de la Miséricorde, est plus efficace que tous les devoirs politiques et les stratégies étudiées dans un bureau. C’est ce cœur que Jésus nous fait contempler dans la Divine Miséricorde que nous vivons ce dimanche sur notre paroisse, à l’église de Castelginest. C’est ce cœur débordant d’amour qu’il nous montre dans cet évangile.

Dans l’évangile d’aujourd’hui, Jésus entre dans un village et y rencontre un monde de gens séparés. Dix (10), c’est le nombre exigé pour former une communauté synagogale. Ce nombre dix nous raconte une communauté malade qui connaît Jésus, l’appelle par son nom, l’appelle « maître » et crie à haute voix comme nous au début de la messe « pitié Seigneur » dans le rite pénitentiel. Leur prière faite à haute voix demande seulement la pitié, pas la guérison. Cette communauté des lépreux ne demande pas la communion. Au contraire, en criant, elle respecte la règle de la distance, même avec Jésus.

Dans cet évangile, saint Luc nous dit qu’à peine vus, Jésus les envoie voir les prêtres à Jérusalem. C’est un vrai paradoxe ! Jésus demande aux lépreux de poser et oser se présenter aux prêtres alors qu’ils sont toujours chargés de cette lèpre qui les rend impurs et qui leur interdit de s’approcher des gens normaux. C’est un beau message que nous livre Jésus à travers cet ordre. N’attendons pas d’être beaux, propres, sains et saints, purs, parfaits…pour nous mettre en route. « Je suis venu pour les malades et les pécheurs » nous dit Jésus. Et c’est en route, sur le chemin que les dix lépreux sont purifiés et guéris de leur lèpre.

Les lépreux sont guéris non pas parce qu’ils ont demandé la pitié, mais parce qu’ils ont accepté de se mettre en route vers Jérusalem en obéissant à la parole donnée par Jésus. La dynamique de la vie heureuse est revenue dans ce monde des « séparés, des exclus, des prisonniers volontaires d’un village, prisonniers de la Loi, de leur infirmité ». Cela s’est produit parce qu’ils ont fait confiance ! Notre monde aurait un autre visage si les peuples, les cultures, les religions se faisaient mutuellement confiance, en acceptant de s’approcher les uns des autres sans préjugés.

Ce bel évangile finit par un paradoxe, à la fois beau et douloureux. Tous les dix lépreux sont guéris sur leur chemin, mais un seul revient sur ses pas. Ce dernier est un étranger et hérétique ! Il revient sur ses pas pour rencontrer Jésus et reconnaît la richesse de la relation avec lui. C’est un étranger, le plus étranger à la foi d’Israël, qui reconnaît l’intervention de Dieu dans son histoire personnelle. Pour lui, être purifié, reprendre sa place dans la société et la religion ne suffisent pas : il sent le besoin infini de louer Dieu par sa vie. Il revient et se jette aux pieds de Jésus.

Par ce geste de foi, il a brisé les distances et la séparation qui le liaient à son groupe des lépreux mais le séparaient du salut, en touchant les pieds de Jésus. Les autres 9 sont toujours en route vers Jérusalem. Ils sont purifiés, soumis à la Loi, ils ont peut-être rejoint le temple de Jérusalem et rencontré les prêtres…. Peu importe ! Ils ont perdu la relation avec le Seigneur. Seul l’étranger, en revenant sur ses pas, a retrouvé la relation avec Jésus, la foi et le salut. Il n’est plus étranger. Il a compris ce qui compte vraiment et donne sens à son histoire personnelle : être avec le Seigneur.

Aujourd’hui nous sommes nous aussi mis directement devant les nouvelles manifestations de la même lèpre, pour nous-mêmes et pour les autres, avec tous ces étrangers de religion, de culture, de couleur de peau, de statut social, de niveau intellectuel, d’appartenance communautaire… mais tous ces étrangers que nous sommes, vous et moi, ceux d’ici et ceux d’ailleurs, se font nos voisins dans ce monde globalisé. Nous devons forcément apprendre à redevenir frères et soeurs en humanité et dans le Seigneur.

Seigneur, fais-nous voir toutes ces lèpres, ces murs qui nous séparent et nous divisent ! Apprends-nous, Seigneur, à briser les murs de la séparation! Guéris-nous de toutes ces lèpres qui nous séparent. Par notre vie et notre action, fais que tant d’exclus retrouvent leur place dans la société et dans ton Eglise ! Amen

 

Ancien curé de l'ensemble paroissial