XXXIIIè dimanche TO-Ann. A « De la peur de Dieu qui nous paralyse à la crainte qui nous rend féconds! »

2018-01-28T20:12:54+01:0021 novembre 2017|

Mes chers frères et sœurs ! A première vue, il est très difficile de comprendre et percevoir la logique évangélique dans la parabole des talents par rapport aux fruits et aux résultats que le patron attend de ses serviteurs. Dans la parabole du Semeurs, au chapitre 13 de l’évangile de Matthieu, il est bien dit que la semence qui tombe dans la bonne terre produit cent, soixante ou trente pour un, alors que dans celle que nous venons d’écouter le patron semble ne rien attendre de chacun de ses trois serviteurs. Celui qui reçoit cinq talents, on ne nous dit pas que le patron attendait cinq cents talents, de même celui qui en reçoit deux ou un. A chacun, il est simplement demandé de les faire fructifier, sans donner un chiffre d’affaires à atteindre. Cela est loin de ce que nous vivons dans les entreprises où on nous dit par avance le chiffre d’affaires ou l’objectif comptable à atteindre. Dans la vie chrétienne, au contraire, ce n’est pas l’abondance qui caractérise les fruits de l’action de Dieu dans les humains.

Une autre chose difficile à comprendre dans cette parabole, c’est le type de relation que cette étrange parabole des talents semble présupposer entre le patron et ses trois serviteurs. On nous parle de patron et serviteur ! On dirait qu’il s’agit d’un contrat bien défini : «  je te donne et toi tu me donnes en retour ! » Le donnant-donnant de Ségolène Royal ! Pour reprendre une classification bien reconnue dans la tradition spirituelle, il semble que cette parabole décrive une relation de serviteur, de mercenaire, d’employé… mais pas une relation familiale ou amicale. Ces trois serviteurs ne sont pas des fils ni des amis du maître. Et pourtant, nous savons que le cœur du message chrétien est que nous ne sommes pas des mercenaires mais des fils et filles de Dieu, nous ne sommes pas des serviteurs mais des amis. Avant de mourir, Jésus dit bien à ses disciples : « je ne vous appelle plus serviteur, mais je vous appelle mes amis ». Nous sommes donc, depuis le baptême des fils et filles aimés et appelés à aimer notre Père.

Comme chaque fois que nous lisons la Parole de Dieu, nous devons l’interpréter à la lumière de toute l’Écriture et nous laisser interroger par des points de vue qui semblent contradictoires. Partons donc de cette phrase avec laquelle le dernier des serviteurs, celui qui n’avait reçu qu’un seul talent, essaye de justifier sa négligence, sa paresse en faisant tomber la faute sur son patron. Il dit en effet : « Seigneur, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain. J’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient ». On perçoit ici la grande remise en cause du patron par le serviteur. Dès le départ, ce serviteur a jugé son patron comme étant un homme dur, comme quelqu’un qui ne cherche qu’à profiter du travail des autres… Pour ce serviteur, il est évident que dans son cœur il est convaincu que son maître ne veut pas son bien. Il n’est donc pas étonnant que ce serveur soit tétanisé par la peur et le réflexe qui toujours accompagne la peur, c’est le repli sur soi, l’enfermement sur soi, se protéger, se cacher comme nous le voyons dès le départ. On voit bien la peur d’Adam et Eve qui se cachent au Seigneur dès le début de la Genèse après leur péché. Ils ont peur et sont tétanisés, ils se cachent. On le voit aussi dans la dernière phrase prononcée par le Serviteur mauvais : « Le voici. Tu as ce qui t’appartient ».

En effet, ce serviteur veut établir une différence entre ce qui lui appartient et ce qui appartient à son patron. Il veut mettre de la différence et de la séparation. C’est le refus de la relation, de la coopération, de la communion. Un tel comportement nous invite à réfléchir profondément sur l’image que nous nous faisons de Dieu, sur comment nous le percevons, sur quel type de relation nous établissons avec lui. Il y a une grande différence entre avoir peur de Dieu, cette peur dont parle le serviteur mauvais, et la crainte de Dieu évoqué dans la première lecture dans le livre des Proverbes : « Le charme est trompeur et la beauté s’évanouit ; seule, la femme qui craint le Seigneur mérite la louange », et le psaume 127 : « Heureux qui craint le Seigneur et marche selon ses voies… Voilà comment sera béni l’homme qui craint le Seigneur ».

La peur de Dieu nous paralyse, nous renferme sur soi, nous rend sec à son égard. La peur nous rend mesquin et infécond dans notre foi, comme nous le voyons dans la vie du serviteur mauvais. La crainte de Dieu nous rend heureux ! Heureux qui craint le Seigneur, nous dit le psaume. La crainte de Dieu nous rend fécond. La crainte du Seigneur nous rend acteurs, collaborateurs, inventifs, forts et courageux, comme cette femme de la première lecture que nous voyons travailler, tendre la main au pauvre et susciter la louange de toute la ville. Nous devons être attentifs au parallèle qu’il y a entre la crainte de Dieu et la bénédiction qui en résulte. Le psaume nous dit en effet : « voici comme est béni l’homme qui craint le Seigneur ! » Celui qui craint le Seigneur est béni par lui. Il est rendu fécond, est aimé de Dieu et récompensé par lui. Celui qui sait qu’il est béni par le Seigneur le bénit à son tour, il dit du bien de Dieu et fait du bien pour Lui. Il l’adore, vit de sa vie dans un flux de gratitude qui lui donne des ailes, se sent porté, soutenu comme quand nous avons conscience d’être aimé. Quand on se sait aimé, on ne marche plus, on est sur un petit nuage et on vole, on se sent léger. Alors, la crainte du Seigneur est une sorte de gratitude. Je reconnais que j’ai tout reçu de Dieu ! Je reconnais que tout ce que j’ai et tout ce que je suis, je l’ai reçu de Dieu et je lui rends grâce par toute ma vie. La crainte du Seigneur est une sorte de joie. Se savoir aimé de cette manière, se savoir comblé, voir quel prix infini j’ai aux yeux de Dieu, tout cela donne sens et légèreté à ma vie, me donne une direction, un dynamisme toujours nouveau.

Les deux autres serviteurs ont compris que leur patron était en réalité un père et que les talents qui leur étaient confiés n’étaient pas un investissement dont le patron attendait quelque chose, mais était « peu de chose ». Le patron dit en effet : « Son maître lui déclara : ‘Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur». Mais ce peu est très important, parce que ces talents étaient seulement l’occasion que le père leur avait accordée pour manifester un petit signe de leur fidélité, de leur amour, de leur gratitude.

Le Seigneur ne nous demande pas de faire de grandes choses. Il se contente de petits signes que nous pouvons lui envoyer, comme dit le un psaume : « Seigneur, je ne poursuis ni grands desseins ni merveilles qui me dépassent, mais je garde mon âme égale et silencieuse, mon âme est en moi comme un enfant, un petit enfant contre sa mère » (130). Nous pouvons aussi nous mettre dans cette confiance en disant à Dieu que nous ne sommes pas capables de grandes choses, mais que nous faisons chacun un peu, un tout petit peu pour lui montrer notre joie et notre gratitude. Un enfant est toujours fier de manifester son amour aux parents par des petits gestes, comme cette petite qui te fait simplement un petit dessin, par amour, pour te le donner quand tu rentres d’un voyage, pour te dire son amour. Donne-nous Seigneur la grâce de ta crainte et de la gratitude pour tout ce que tu nous donnes. Amen.

Ancien curé de l'ensemble paroissial